Flamme Fédé Ouest
PHARMAPRAT

Quelles voies (voix) pour la médecine ?


Les médecins sont en grève. Cette antienne entonnée sur toutes les antennes rehausse le niveau d’angoisse du soigné putatif. En revanche, la loi Hôpital Patient Santé Territoire visant à réformer le système de santé Français dans son ensemble – Hôpital public compris – en le contractualisant, conduit à l’aporie du manque de médecins sur les territoires et de leur refus de céder une once de leurs prérogatives.

« Ils vont tuer la médecine libérale » 

« Médecins, pas larbins »« Médecine libérale maltraitée, désert médical assuré », « SOS Fatôme, Médecins en Braun-Out », « Médecins en sous France », « Médecins pour demain, tous unis pour le soin », « C’est la médecine qu’on assassine », « Médecine au rabais = santé en danger », « pour le C à 50€ », « Donnons envie aux jeunes de s’installer », … Une marée de pancartes oscillait ce jeudi [05/01/2023] sur l’air de Bella Ciao chanté par des milliers de blouses blanches battant le pavé parisien, devant le Panthéon en direction de l’avenue de Ségur [ministère de la Santé]. Notre modèle, c’est l’entreprise libérale. On ne touche pas de salaires, on a des bénéfices. Les médecins sont libéraux, oui, mais ils sont rémunérés par la Sécurité sociale.

Le système de santé est à bout en ville comme à l’hôpital, affirme le collectif « Médecins pour demain » qui dénonce « l’immobilisme du gouvernement et du ministre de la Santé » face aux appels au secours des médecins de terrain. Une revalorisation de la consultation de 25 à 50 euros (en recyclant aussi de nombreux forfaits), pourrait provoquer « un choc d’attractivité ». La délégation de tâches médicales, la mise en place de télécabines, sont autant de signaux d’une médecine « dégradée ». « Ils vont tuer la médecine de ville comme ils l’ont tué à l’hôpital ».

Emmanuel Macron, en pourfendeur des corporations et de la rente, entretient un rapport ambivalent à la médecine libérale. Il est le premier président de la République à mettre fin au numerus clausus, ce quota imposé de médecins en formation, mis en place en 1971 pour apaiser une profession inquiète de l’ouverture des études de médecine après Mai 68.

« Donnant-donnant » 

François Braun, sur le plateau de « France 2 » le 05/01/2023, a répondu aux revendications de libéraux. « Je suis prêt à augmenter la consultation dès lors que les besoins de santé des Français sont remplis », « Ce sont des droits et des devoirs, c’est donnant-donnant, ma porte est toujours ouverte sur ce principe ». Il a écarté la possibilité que la consultation soit revalorisée jusqu’à 50 euros, comme le réclament les grévistes et plusieurs syndicats. « D’accord, on augmente la consultation, mais je veux que les 650 000 Français qui sont en maladie chronique aient un médecin traitant, parce qu’ils n’en ont pas actuellement, je veux qu’on puisse avoir un médecin la nuit, le week-end », a lancé le ministre, reconnaissant « les difficultés » de ses confrères, « il y a des charges administratives beaucoup trop élevées ».

Le ministre de la Santé – François Braun — « condamnerait toute grève qui prend en otage la santé des Français », soulignant qu’il avait lui-même été gréviste en tant qu’urgentiste dans le passé, tout en continuant à travailler.

Pourtant, l’équation a beau ne pas plaire à tout le monde, elle a le mérite d’être claire :

médecins généralistes de plus en plus rares dans les territoires  + un exercice coordonné qui a le vent en poupe  = délégation d’actes, autrefois assumés par la seule profession médicale, vers plusieurs catégories de professionnels de santé.

Le nombre de 209 207 médecins devrait atteindre son plus bas niveau en 2024. Professionnels de santé et patient(e)s n’auront pas d’autre solution que de s’adapter, en attendant des jours meilleurs. Ce nombre devrait remonter doucement au cours des années suivantes (environ 1,5 % tous les ans) jusqu’à 291 790 au total en 2050. Mais les arrivées de nouveaux soignants ne vont pas compenser les départs des anciens. On aura beau avoir des mesures compensatoires, cela ne suffira pas. Il faut donc arrêter de faire croire qu’on va embaucher des gens qui n’existent pas, et se demander comment faire, avec les personnes que nous avons, pour répondre aux besoins de la population. Plus structurellement, l’attractivité sera décisive dans les prochaines années en matière de démographie médicale. Il faut des propositions pour faciliter l’exercice, simplifier l’administratif, mieux coter les consultations longues, réfléchir sur des forfaits qui tiennent davantage compte de la réalité de l’activité…

Face à une telle situation, la tentation de restreindre la liberté d’installation des médecins va continuer de titiller le législateur. Par exemple, la quatrième année de médecine générale en désert médical actée dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2023.

L’idée d’une contrainte, partielle ou totale, pourtant défendue au sein de la majorité parlementaire, est écartée. « Ce serait une erreur, au même titre que la création d’un numerus clausus était une stupidité rare », affirme François Braun au Monde. « Ce n’est pas le bon tempo pour braquer les médecins », abonde Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée à l’organisation territoriale et aux professions de santé. Mais 87 % de la France est un désert médical, les médecins ont conscience que la population se retourne contre eux, c’est nouveau. » Le chef de l’Etat craint que l’obligation ne décourage les vocations, alors que la fin du numerus clausus ne produira ses effets qu’en 2030. Roselyne Bachelot raconte, dans son livre 682 jours. Le bal des hypocrites (Plon, 288 pages, 20,90 euros), ce tabou politique lorsqu’elle était ministre de la santé de Nicolas Sarkozy : « François Fillon m’obligea (…) à renoncer aux mesures de régulation de l’installation des médecins, sur le mode de ce qui s’est imposé sans problème aux pharmaciens ou aux infirmiers. Nous payons encore aujourd’hui ce refus devant l’obstacle. » Le premier ministre d’alors lui aurait expliqué : « Tu comprends, il faut se réconcilier avec les médecins. » « Et paf ! On a pris dix ans de retard », conclut l’ex-ministre.

« Le partage d’actes est envisageable »

« Aujourd’hui, alors que certain(e)s patient(e)s se trouvent hors du système de santé du fait du manque de médecins, on ne peut plus continuer à dire que certains professionnels peuvent tout faire, et d’autres presque rien»,

Permettre à d’autres professionnel(le)s de santé non médicaux de prendre en charge et orienter un(e) patient(e) pour être soigné(e) rapidement, dans les déserts médicaux a le don de susciter de francs levers de sourcils chez les médecins. « On prend d’autres soignants et on leur fait faire les tâches des médecins : le pharmacien vaccine, l’infirmière signe les certificats de décès ?  On est méprisés ». « Le partage d’actes en soi est envisageable, mais tout dépend du cadre et du parcours de soins », « S’il se fait au détriment du parcours de soins ou s’il le désorganise, nous n’allons pas être d’accord. ». « Il est évident que compte tenu des problèmes de démographie médicale, nous devons aujourd’hui nous coordonner entre professionnels de santé. Le partage d’actes doit néanmoins être protocolisé avec le médecin traitant. ». « C’est le médecin qui décide l’entrée dans un processus de délégation de tâches avec d’autres professionnels de santé. Il est libre, territoire par territoire. Le médecin n’est pas obligé de s’engager dans cette démarche. Il peut rester comme il est », « C’est lui qui a les compétences et la formation pour faire le diagnostic, et on ne peut pas demander à un autre professionnel de faire ça, ça n’est pas possible ». « Nouvelle vision du système de santé, médecine coordonnée, OK, où chacun est à sa place. Mais… sans les paramédicaux qui veulent jouer au petit docteur »

Le président candidat avait proposé d’alléger les médecins en confiant aux pharmaciens et aux infirmiers des « gestes simples », tels que le renouvellement d’ordonnance. « Ce sont des choses pour lesquelles on peut parfois attendre des mois avant de voir son médecin traitant, qui peuvent nécessiter pour certains Français de faire une heure de voiture, ou qui sont impossibles, car le médecin est parti à la retraite », s’insurgeait-il alors. L’exercice coordonné a le vent en poupe et il sera la boussole des années à venir. La dynamique est d’autant plus du côté de la coordination que la maison de santé n’en constitue que l’un des niveaux, celui de la patientèle. À l’échelle territoriale, on observe un mouvement parallèle, avec le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui devraient couvrir l’ensemble du territoire en 2023, selon les vœux du gouvernement. 69% des médecins généralistes libéraux qui ont au moins quatre ans d’ancienneté déclarent exercer en groupe au titre de leur activité principale en 2022, alors qu’ils n’étaient que 54% en 2010.

Les vœux d’Emmanuel Macron

Il fut le seul, au sein de sa famille, à refuser d’emprunter ce que ses grands-parents désignaient comme « une voie royale ». La médecine ? « Je voulais un monde, une aventure qui me soient propres », écrit Emmanuel Macron dans son livre programmatique Révolution. Sa famille regorge de médecins, il a grandi entouré de professionnel(le)s de santé. Le président de la République connaît les codes, les contraintes, les joies et les déboires de l’une des professions les plus populaires en France, longtemps choyée par le pouvoir.

 « La crise que nous vivons n’est pas simplement une crise de moyens, parce qu’en fait on a déjà beaucoup répondu sur les moyens. Elle est multifactorielle. Elle est en fait beaucoup plus complexe que si c’était simplement un problème d’argent, parce qu’on a fait le plus gros effort financier de notre histoire du système de santé au moment du Covid. »

« On a aujourd’hui [2022] près de 4 000 assistants médicaux qui ont déjà signé un contrat et ce qui est un vrai succès. On doit arriver à 10 000 d’ici à la fin de l’année prochaine, et ça, c’est faisable. Et donc je souhaite qu’on les généralise. Ça permet de délester des tâches périphériques aux soins. Et ce que je veux, c’est qu’on puisse aussi l’appliquer à l’hôpital où nous basculerons des personnels administratifs, logistiques, techniques, au plus près des services pour permettre aux soignants de se concentrer sur le cœur de leur métier. »

« Très longtemps on a dit que ce ne doit pas être les soignants qui dirigent l’hôpital, mais les administratifs. Après on a dit le problème c’est les administratifs qui dirigent”. Il faut la présence à la tête des hôpitaux d’un un vrai tandem sur la base d’un projet ».

« Beaucoup des débats sont crispés autour de cette fameuse tarification à l’activité. Le mode de rémunération prend mal en compte le soin non programmé. Il prend mal en compte les activités les plus complexes qui vont prendre du temps. »

« Une vraie réponse, à la fois à la permanence des soins dans les lieux très tendus, et aux déserts médicaux en ville ; c’est là que nous allons concentrer l’effort financier des négociations conventionnelles qui ont vocation à s’achever à la fin du premier trimestre [2023]. Il faut mieux rémunérer en quelque sorte celles et ceux qui vont être prêts à former des jeunes et prendre des internes auprès d’eux, à prendre de nouveaux patients, à aider au coup de chauffe quand ils existent, à participer à une offre de soins sur le territoire. C’est ça qu’il faut mieux aider, mieux rémunérer. », « Il faut redresser, stabiliser et inciter à avoir une permanence des soins en ville. Les Français doivent [pouvoir] trouver facilement un médecin de garde », « Il faut bâtir un nouveau pacte avec la médecine libérale, un pack de droits et de devoirs. Nous avons besoin de notre médecine libérale. Il faut mieux récompenser, mieux inciter toutes celles et ceux qui veulent travailler ensemble et donc dans chaque territoire. Il va s’agir de construire une forme de solidarité collective pour les médecins spécialistes. C’est d’ici à la fin de cette année que chaque citoyen, en quelque sorte, pourra avoir accès, dans son bassin de vie, à une offre de soins. Alors, appelons ça un réseau territorial. »

« Comme la santé n’a plus de prix pour beaucoup de nos compatriotes, elle n’a plus de valeur. Trop de temps médical est gaspillé par un excès d’imprévoyance, de la désinvolture avec, en particulier, des rendez-vous non honorés. Et, pour supprimer cette perte sèche de temps médical, un travail sera engagé avec l’Assurance-maladie pour responsabiliser les patients lorsque plusieurs rendez-vous ne sont pas honorés. On fait avec notre système de santé ce qu’on ne fait avec rien d’autre dans la vie de notre société : on pense que le droit de tirage est absolu, illimité, que le respect n’a plus cours parce qu’on ne paye jamais. Ce n’est pas possible »

Les 600 000 patients avec une maladie chronique, qui n’ont pas de médecin traitant s’en verront proposer un, ou à défaut une équipe traitante avant la fin de l’année [2023].


Sources

https://www.egora.fr/actus-pro/acces-aux-soins/78525-developpement-de-l-exercice-coordonne-vers-la-fin-d-une-aberration

https://www.egora.fr/actus-pro/demographie-medicale/78524-demographie-medicale-le-pire-est-a-venir

https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/exercice/proposition-de-loi-rist-sur-lacces-direct-aux-paramedicaux-cest-non-pour-la-csmf-qui-redoute-une?xtor=EPR-1-%5BNL_editionnumerique%5D-%5B20230104%5D&utm_content=20230104&utm_campaign=NL_editionnumerique&utm_medium=newsletter&utm_source=qdm

https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/exercice/ils-vont-tuer-la-medecine-liberale-des-milliers-de-praticiens-defilent-paris-en-attendant-macron?xtor=EPR-1-%5BNL_editionnumerique%5D-%5B20230105%5D&utm_content=20230105&utm_campaign=NL_editionnumerique&utm_medium=newsletter&utm_source=qdm

https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/honoraires/donnant-donnant-francois-braun-daccord-pour-revaloriser-la-consultation-condition-daugmenter-loffre?xtor=EPR-1-%5BNL_editionnumerique%5D-%5B20230105%5D&utm_content=20230105&utm_campaign=NL_editionnumerique&utm_medium=newsletter&utm_source=qdm

https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/06/emmanuel-macron-et-les-medecins-liberaux-une-relation-entre-proximite-et-defiance_6156817_823448.html

https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/06/emmanuel-macron-et-les-medecins-liberaux-une-relation-entre-proximite-et-defiance_6156817_823448.html

modifié le 2023-01-06 19:46 par admin

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