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Une médecine de délégation contre la pénurie


François Braun, ministre de la santé : « Dans les déserts médicaux, on va faire la guerre avec les troupes qu’on a »

Bien que le ministre de la santé, François Braun, répète sur tous les tons que l’installation de force de médecins sur un territoire ne marche pas en France. L’installation est liée à la démo-géographie pour de nombreuses professions de santé (toute création d’officine doit être autorisée par l’agence régionale de santé, les infirmier(e)s ont décidé d’encadrer leurs installations en 2011, les kinésithérapeutes ne peuvent s’installer en zone déclarée « sur-dotée » qu’en succédant à un confrère ou une consœur à partir de 2018). Côté médecins, les postes hospitaliers publics sont strictement régulés par l’État, en revanche en médecine libéral, la liberté d’installation est totale.

Les dispositifs d’incitation, souvent financiers, en zones sous-denses se sont multipliés, empilés, sans effet. Plus de 80 millions d’euros de diverses aides à l’installation en 2015 par exemple. En juillet dernier, l’assurance-maladie constatait que tout cet argent « n’a pas suffi à gommer les déséquilibres de répartition territoriale qui perdurent ». Pire, ils se creusent.

Dans le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2023, l’article 23 prévoit une quatrième année d’internat dans les zones sous-dotées (rurales ou périurbaines) pour les internes en médecine générale. Cette proposition suscite déjà une bronca, en premier lieu parmi les étudiant(e)s en médecine. Mais de manière générale, « tous les médecins, jeunes et moins jeunes, libéraux et salariés, sont contre la coercition, parce que cela ne marche pas ».

Sur le principe, le partage ou la délégation de compétences entre médecins, personnels médicaux et paramédicaux ne fait plus, à première vue, figure de « chiffon rouge ».

L’argument, le plus souvent avancé, de la baisse du nombre de médecins généralistes pour expliquer cette répartition de plus en plus inégalitaire est faux. Le nombre de médecins augmente, mais les jeunes médecins se tournent, plus nombreux, vers les spécialités médicales et chirurgicales.

Tout le monde semble d’accord – rares sont ceux qui se disent contre – pour mieux se coordonner, dégager du temps soignant. 

Parce que  

  • l’accès aux soins est devenu l’une des premières préoccupations des Français(e)s.
  • 11 % des Français(e)s n’ont pas de médecin traitant, y compris parmi les plus malades ou fragiles.
  • 25 % des Français(e)s renoncent à des soins, d’abord pour des raisons financières, très loin devant le temps d’attente.
  • Ce sont les femmes, les familles monoparentales et les personnes sans emploi qui y renoncent le plus. Le fait de n’avoir pas de complémentaire santé est un facteur aggravant.
  • Les renoncements les plus nombreux concernent les soins dentaires, mal remboursés. En deuxième position on retrouve les consultations chez les médecins spécialistes.

À ce stade, qui est prêt à déléguer quoi

Les ordres de santé concernés — médecins, infirmier(e)s, pharmacien(ne)s, kinésithérapeutes, etc — tardent à se positionner collectivement. Bien qu’il aient rappelés, dans un communiqué en date du 20 juillet 2022, l’« importance d’un travail commun pour faire évoluer le parcours de soins des patient(e)s et répondre aux difficultés d’accès aux professionnels de santé ». Le 3 octobre au Mans, le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, a fait savoir que le gouvernement était prêt à « prendre ses responsabilités » faute d’accord entre les soignants. Des « leviers » existent ; les « assistants médicaux » qui, en prenant en charge des tâches administratives et des gestes techniques, permettent d’accueillir jusqu’à 10 % de patients en plus par médecin ; les maisons de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé qui favorisent l’« exercice coordonné », attracteur des personnels de santé dans des territoires isolés.

La délégation de tâches – le « partage des responsabilités », préfèrent dire les intéressés – fait référence à la « responsabilité collective », du ministre. Deux années de crise sanitaire ont montré, au-delà de la mobilisation de tous, la capacité des pharmaciens, des pompiers, des étudiants en santé à vacciner à tour de bras sans en passer par de longs débats.

« Il n’y a pas de déserts infirmiers », plaide l’Ordre des infirmier(e)s.Notre profession couvre par la loi – et non par l’incitation — l’ensemble du territoire avance l’Ordre des pharmacien(e)s. Rattrapant la balle au bond, l’ordre des médecins communique à son tour, le 7 octobre 2022, sur la « nouvelle organisation de la prise en charge du patient dans les déserts médicaux, fondée sur une équipe de soins primaires et de proximité, sous la responsabilité des médecins quant au diagnostic et aux choix thérapeutiques, avec des spécialistes de second recours associés …/… Il y aurait bien transfert de certains actes habituellement réalisés par les médecins à d’autres professionnels de santé ».

Mais la fin des monopoles se négocie difficilement.

L’économiste de la santé Philippe Mossé explique « Depuis les années 2000, chaque avancée en matière de délégation de tâches, qu’elle concerne les pharmaciens, les kinésithérapeutes, les infirmières, les orthoptistes ou encore les radiologues a fait naître des tensions, parce qu’on touche à chaque fois à la structuration d’un système qui s’est construit sur des monopoles institutionnalisés. Ces cloisonnements, ces corporatismes ont longtemps été bénéfiques au système et à ses acteurs. Leur remise en jeu ne va pas de soi. »

L’intersyndicale des libéraux de santé — une dizaine de syndicats représentant chacun une profession — s’est elle aussi emparée de la question du « périmètre » des métiers. Les modes de coopération (ou de délégation) jouant, en partie, sur les modes de rémunération, le sujet devrait rebondir ces prochaines semaines, pas seulement parce que le comité interordres s’est engagé à livrer, très vite, sa partition ; mais encore parce que l’examen du PLFSS 2023 puis les négociations de la future convention médicale, entre l’Assurance-maladie et les libéraux, devraient lui donner encore de l’écho.

Sources :

https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/analyse_etude/11jksb5/cnom_atlas_demographie_medicale_2022_tome_1.pdf

https://www.mediapart.fr/journal/france/011022/en-ville-la-mer-et-la-montagne-la-ou-se-trouvent-les-oasis-medicales

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/11/face-aux-deserts-medicaux-le-pari-de-la-responsabilite-collective_6145242_3224.html

modifié le 2022-10-13 10:43 par admin


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